Etrangement, en serrant sa main, il se trouva transporté sept ans plus tôt, dans le bureau à la fois cossu et délicieusement bordélique de son éditrice.

Il revoyait comme si c'était hier les piles de livres qui s'élevaient un peu partout dans la pièce dans un équilibre bancal, les liasses de notes, recouvertes d'une petite écriture serrée, jonchant le bureau, les dossiers éventrés qui vomissaient leur contenu ça et là.
Quand il était en mal d'inspiration ou en plein doute, c'était dans ce bureau qu'il venait humer les mille et une histoires que semblaient lui raconter ces murs croulant sous les livres, ce canapé sur lequel s'étaient assis avant lui des dizaines de jeunes écrivains poussés par l'espoir d'être lus un jour, et même les ravines creusant les traits sans grâce d'Adèle Cormon, son éditrice...

A cette époque, Adèle et lui se connaissaient depuis six ans. Depuis le jour où elle avait décidé de lui faire confiance et de publier son premier roman ! Rejeté de toutes les grandes maisons d'édition, il s'était résigné à envoyer son manuscrit à cette petite maison d'édition, obscure, bien que plantée au fond d'une cour donnant sur l'une des artères les plus commerçantes de la ville. Et ô surprise, non seulement son manuscrit avait été lu, mais il avait eu l'heur de plaire.
Quand il s'était retrouvé face à Adèle Cormon, il avait été surpris par son aspect négligé, presque grotesque – une caricature de la vieille fille – qui ne correspondait en rien à la voix énergique et déterminée qui lui avait fixé rendez-vous par téléphone.
Elle lui avait avoué qu'elle avait été intriguée par le ton drôle et cruel qui se dégageait de son roman, mélange de désenchantement et de cynisme dont la lecture agissait, selon ses dires, «comme un baiser doux amer sur les lèvres».
Ni Coriolan ni Adèle n'avaient eu à regretter leur association : le premier roman du jeune écrivain avait été un véritable succès.
Des liens d'estime et de confiance, qui ne s'étaient jamais démentis par la suite malgré leur caractère emporté, s'étaient noués entre eux et avaient donné naissance à une amitié profonde.
A part la mère d'Azra, elle était la seule femme qu'il respectait. Il aimait son franc-parler, son honnêteté intellectuelle, ses conversations toujours si stimulantes... et même son infâme cigarillo à l'odeur tellement âpre! Elle était la seule à oser lui assener ses quatre vérités et à lui tenir tête... et il adorait cela.
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