07 juillet 2010

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La feuille de papier, roulée en boule, alla rejoindre les autres sur le bureau, à côté du cendrier débordant de mégots.


Coriolan, à bout de nerfs, se frotta vigoureusement le visage à deux mains, comme pour laver son esprit de l'engourdissement qui l'avait envahi.

Cela faisait des heures qu'il s'acharnait à tenter d'écrire la première phrase du premier paragraphe du premier chapitre de son roman, mais il devait se rendre à l'évidence : l'inspiration l'avait bel et bien quitté. Au début, il ne s'en était pas inquiété, outrageusement confiant qu'il était dans les ressources de son imagination. D'ailleurs, pourquoi se forcer à écrire ? S'il se forçait, il écrirait mal; s'il écrivait mal, il s'énerverait; et s'il s'énervait, il écrirait plus mal encore. Mais les jours avaient succédé aux jours et les semaines aux semaines sans que la plus petite étincelle d'idée ne vienne le sortir de cette spirale angoissante ! La pression avait monté d'un cran quand Adèle Cormon, son éditrice, s'était mise à le harceler pour qu'il lui apporte enfin le premier jet de son manuscrit – ou tout du moins les dix premières pages – et le rendez-vous devait avoir lieu le lendemain sans faute.

Il rabaissa son regard vers le bureau.


Blanche. Sa feuille restait désespérément et immaculément blanche. Il allait bien devoir pourtant les remplir ces satanées dix pages... au risque de devenir à la longue aussi blanc que le papier lui-même.

Il avait lu quelque part que, dans l'Égypte ancienne, l'écriture était comparée à la procréation : le stylet qui pénétrait le bloc d'argile fécondait la pensée. Et il se demandait avec angoisse si son incapacité actuelle à accoucher ses idées n'était pas un formidable pied-de-nez à sa vie intime débridée, comme un retour à un juste équilibre : son appétence charnelle contre son impuissance créatrice !

« Foutaises ! Décida-t-il en reprenant son stylo. Écris. N'importe quoi mais écris ! »

Il n'avait pas aligné trois phrases que George, sa chatte bien-aimée, bondit sur le bureau pour s'allonger nonchalamment sur son brouillon, l'empêchant de continuer.


— Alors toi non plus, tu n'aimes pas ce que j'écris ? Se plaignit-il en la gratouillant entre les deux oreilles.

George lui répondit en ronronnant et en le fixant de ses larges prunelles pailletées d'or et d'agate. Coriolan plongea dans ce regard insondable comme s'il plongeait en lui-même. Il se laissa envahir par ces sensations de bien-être : la douce chaleur du pelage sous sa paume, les vibrations continues et profondes qui sourdaient du corps élastique. Des images tourbillonnèrent dans son esprit, se mélangèrent jusqu'à s'y dessiner de plus en plus clairement. Gagné par une excitation qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps, Coriolan déposa George sur ses genoux, alluma une cigarette et attrapa son stylo ; le félin émit un faible miaulement de protestation - décidément, les humains ne comprendraient jamais rien à la volupté de la paresse – et se mit à piétiner frénétiquement les cuisses de son maître avant de s'y rouler en boule.


12 commentaires:

  1. J'adore le passage sur la théorie égyptienne. Je suis sûre que si on demandait à Corio d'écrire sur le corps d'une femme il y arriverait mieux...C'est trop insipide une feuille blanche xD mdr George la chatte ! Cherchez l'erreur...Il est fou ce Corio *total in love*

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  2. excellent SheZ... et moi, j'adore ton idée... c'est sûr qu'ainsi l'inspiration reviendrait bien vite à Corio mais serait-ce bien raisonnable !!!

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  3. George, drôle de nom pour une chatte xD Mais j'aime bien !

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  4. George, comme George Sand, non?

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  5. exactement, Koe... Corio a appelé sa chatte George en hommage à Sand... Sa chatte est donc une chatte féministe... ;)

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  6. Super début ! Pauvre Coriolan, ce qu'il lui manque, c'est une Muse...

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  7. Eh oui, cette brave George (Sand) a trop bourlingué à droite et à gauche pour devenir la sienne de muse. La chatte fume-t-elle le cigare comme son homologue humain ?

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  8. lol Link... eh oui, Isis, il lui manque UNE (seule) Muse...

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  9. Et il a un chat ! C'est l'homme idéal *__*

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  10. Très bon début que je découvre avec grand plaisir. Je souriais en lisant, ça me rappelle tant de choses, ça pourrait être moi avec ma minette Cachou quand elle était encore là. :D

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  11. Merci Phinae ! A vrai dire, la scène avec George la petite chatte friponne est inspirée de la mienne qui adorait se couchait sur mes devoirs, m'empêchant ainsi de continuer...

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