En versant le vin, je vois qu'il ne me quitte pas des yeux. La pénombre masque heureusement le rouge qui vient de s'imprimer sur mes joues. Après m'avoir brutalisée, voilà maintenant qu'il recommence à  me déshabiller. Tu es un mystère pour moi, Coriolan Galen. Un grand, un puissant (et surement quelque part, un fascinant) mystère.
- Eh bien, à  quoi boirons-nous aujourd'hui ?
La douceur de sa question me déstabilise. Je sens que je vais bafouiller. Déjà que je suis de la même couleur que le vin, si j'essaye de trouver une réponse normale il va tout de suite remarquer mon trouble. Alors j'utilise ma traditionnelle technique. Raconter n'importe quoi. En détournant son attention, il ne verra pas à  quel point le sang pulse dans mes veines. Il n'entendra pas à  quel point mon coeur s'est mis à  battre...
- Au fait qu'on soit enfermés tous les deux ici ? Non attends, à  mon arrivée stupide qui m'a collé la honte, à  l'enterrement... A la fois où je me suis retrouvée derrière les poubelles avec des poireaux dans le chapeau ? Celle où je t'ai fichu hors de toi parce que j'ai supposé qu'Olympe était un homme ? A la superbe remarque de ma cousine dans l'assemblée, qu'elle aurait pu bramer encore plus fort histoire que ta famille entende aussi à  l'autre bout de la ville ?... NON ! Je sais ! Au fait que je n'ai pas hurlé cette imbécile de phrase en te voyant tout à  l'heure... ou...
Je suis calmée. Débiter des âneries me calme. OK, ça ne me fait pas paraitre formidablement intelligente aux yeux des autres. En même temps ça m'est égal. J'ai appris depuis longtemps à  vivre avec... Même si son regard n'a pas la même valeur sur moi que celui des autres justement.
Je sens que, cette fois, la mayonnaise ne prend pas.
Et au lieu de me détendre, me voilà plus mal à  l'aise encore. Juste parce que c'est lui. Et parce que c'est comme ça.
Je tourne la tête. Vaincue.
- Ahah, c'est pas très drôle, non plus... J'ai un peu l'art de me rendre ridicule, désolée.
Je lui tends mon verre. Sans le regarder. Pour trinquer. Et si, pour une fois, j'arr^êtais de jouer ?
- Tu as écrit récemment ? Te sens pas obligé de me répondre hein, c'est histoire de faire la conversation... Je viens de dire des trucs tellement crétins que j'essaye de passer à  autre chose. Et vu qu'on ne sait pas combien de temps on en a à être ici tous les deux, ça serait sympa de ta part de faire semblant de croire que tu as oublié ce que j'ai dit...
- Tu n'as pas à être désolée... Tu as décidé de pousser ton art à  son paroxysme et cette constance force quelque part l'admiration. Et puis, tu ne devrais pas te soucier autant du regard des autres. Tu sais, les autres ne nous voient jamais comme nous sommes réellement... Alors, seul l'avis des personnes qui nous sont chères devrait nous importer, tu ne crois pas ?
L'avis des personnes qui nous sont chères... Sérieux, le seul qui m'intéresse est celui qui m'a fuie jadis. Et aujourd'hui, le seul qui semble m'importer est décidément celui qui ne cherche qu'à  me fuir... Encore...
- Et pour répondre à  ta question : non, je n'ai rien écrit depuis des semaines... Manque d'inspiration sans doute... Pour t'avouer, je suis las de cette mascarade... Prendre le pseudonyme d'Olympe de Courge m'a amusé un temps... Longtemps même... Mais maintenant il me pèse ! Comme une armure qui ne serait plus à  ma taille... N'as-tu jamais eu ce sentiment d'être prisonnière d'un rôle ?
Quand je vous dis que je suis nue devant lui... Vous me croyez maintenant ?
Un dilemme s'offre à  moi. Ou je récupère le masque que j'ai laissé tomber il y a quelques secondes, ou je montre qui je suis.
L'obscurité alentour me protège. Il ne se rappellera pas des expressions de mon vrai visage. Il est même fort probable qu'il prenne mes allégations pour de la divagation. Et ça me ferait tellement de bien une fois, rien qu'une fois, montrer qui je suis, autrement que par un dessin lancé par défi. A quelqu'un... Je soupire avant de m'élancer.
- Enfin un qui va un peu plus loin que les apparences. Je me fous du regard des autres. Je le détourne et le ridiculise. Je les occupe avec ce qu'ils pensent savoir de moi. Ainsi personne ne cherche à  aller plus loin. Personne ne va gratter la peinture pour voir ce qu'il s'y cache en dessous. Ce sale vieux palimpseste jauni que j'ai repassé tant de fois. Mais oui, Caius Marcius, il m'arrive d'être lasse. Très lasse même.
Les reflets irisés du vin que je fais tournoyer m'hypnotisent légèrement.
Cela fait des années que j'attends le moment de citer ce passage qui me caractérise si bien. En même temps, personne d'autre que lui ne pourra mieux le comprendre étant donné l'écrit d'où il est tiré.
- Est-ce de l'orgueil, ce défaut qui afflige ceux que leur bonne fortune tire du sort quotidien ? Est-ce une erreur de jugement qui l'a rendu incapable d'exploiter les opportunités dont il était le seigneur ? Ou bien est-ce dans sa nature de garder toujours une seule et même conduite. Il y a de tout cela en lui.
Je me sens libre. J'ai avoué à  un autre une part profonde de ce que je suis en réalité. Sans masque et sans fard. C'est presque un soulagement. Un curieux soulagement. Parce que c'est avec lui que j'ai choisi de le faire. Je sais que le regard que je lui jette n’a rien à  voir avec ce que l’on a pu voir de moi jusqu'alors. Je sais à  quel point il peut être empreint de cynisme et d'amertume. Je l'ai si souvent affronté dans ma solitude. Mais je m'arrête là . Au-delà , la porte est encore close. Je ne le laisserai pas aller plus loin. Pour l'instant.
Son air ébahi me fait éclater de rire. Sérieux, il devait surement s'imaginer que je ne pouvais pas sortir de l'Ile au trésor, ou du Club des Cinq niveau citation. Après tout il me l'avait bien fait comprendre, en son temps, que je n'étais qu'une pauvre petite illustratrice pour enfants.
- William Shakespeare, Coriolan, acte IV, scène VII ! Eh oui cette petite sotte de Cassandre a lu autre chose que Oui-Oui au pays des jouets ! Surprenant non ? Sers-m'en un autre.
Prends toi ça Corio!!! Cassie n'a pas oublié ta sale vanne dans le bureau de l'éditrice!
RépondreSupprimerEt vlan, dans les dents !
RépondreSupprimerOui vas-y Oui Oui, OUI OUI !, avec ton beau taxis Pouet pouet pouet ..... *je sors*
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