21 juillet 2010

Genèse de Requiem pour un tombeur

REQUIEM POUR UN TOMBEUR

Ca me fait tout bizarre d'en arriver à la phase des bonus. Tout d'abord parce que cela signifie que je vais devoir me séparer de Coriolan et de Cassie 💗. Ensuite parce que plus d'un an s'est passé entre le moment où ce projet fou a été lancé et celui où j'en termine avec ma partie. Je tenais d'ailleurs à  remercier les filles de l'Atelier pour leur infinie patience et leurs encouragements, et également pour m'avoir permis de participer à  cette nouvelle collective qui nous a occasionné plein de délires et de fous rires, et de fièvre aussi... ^^

Mais foin de bavardage et place aux petits « secrets» de coulisse...

Une fois que le fil rouge de l'histoire fut arrêté, comme l'a dit Link précédemment, pour garder une cohérence à  l'ensemble et rester fidèle aux traits de caractère de chacun de nos personnages, il nous fallut établir une fiche détaillée de ceux-ci.

Voici celle que j'envoyais aux copines pour Coriolan :

Prénom, nom : Coriolan Galen
Age : 33 ans
Nationalité : française
Profession : écrivain
Style vestimentaire : à  la fois classe et confortable
Plat préféré : la paëlla de sa grand-mère...
Goûts musicaux : jazz (il ne l'avouera jamais mais il adore the Hives !!!)
Particularités utiles (ou pas) à  l'histoire : il publie ses romans (pseudo sentimentaux) sous un pseudonyme féminin, Olympe de Courge (ses nombreuses conquêtes lui servent d'ailleurs de matériau à  écrire).
Aucune femme n'est restée plus d'une nuit chez lui... à  part sa chatte qu'il a appelée George en l'honneur de Sand.
Il pratique la capoeira.
Principaux traits de caractère (qualités/défauts) : susceptible, intransigeant, cynique, très orgueilleux, détaché, il pratique la maîtrise de soi et de ses sentiments à  merveille (mais c'est pour mieux cacher ses blessures); charmeur, léger, mondain, il n'accorde en fait son amitié qu'avec parcimonie mais c'est un ami loyal et fidèle; il ne ment jamais (ce qui peut parfois s'avérer très cruel).
Expression(s) souvent employée(s) : "l'abomination de la désolation" "Mazette !"... il aime parfois clore le débat par des citations...

Indications simesques dans le jeu (vous n'êtes pas obligées de prendre les mêmes si vous avez déjà créé le sim, c'est juste pour info, pour que le sim ait un peu les mêmes réactions dans le jeu de tout le monde) :
Aspiration / aspiration secondaire : Popularité/Amour
Signe astrologique : Bélier
Préférences / tue-l'amour : brunes, créatives / puanteur

07 juillet 2010

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Cassandre interrompit cette description par un éclat de rire joyeux et se retourna pour se retrouver nez-à-nez avec lui.

— C'est trop tard Coriolan Galen, tu n'arriveras pas à me dégoûter...

Il sourit en silence en effleurant sa tempe d'un baiser – c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour se dérober à l'intensité de son regard. Mais la peau de Cassandre était traîtresse à distiller ainsi la tiédeur et le parfum de son corps. Si bien qu'avant même l'avoir voulu, la phrase fatidique lui échappa et qu'il s'entendit lui murmurer « Je t'aime » en resserrant son étreinte. Il ne se doutait pas que cela viendrait de cette manière bouleversante et sincère. Son coeur battait la chamade et il se sentait aussi gauche et emprunté qu'un adolescent lors de son premier rendez-vous.

Il releva un peu la tête, inquiet de sa réaction à elle. Cassie restait pétrifiée, un sourire béat peint sur ses lèvres... et il se rendit compte avec horreur que ce sourire était sûrement l'exacte réplique de celui qu'il lui offrait en retour. Il ne lui manquait plus que les mains moites pour compléter ce tableau cauchemardesque. Enfin, presque. Car comme il la pressait d'un timide « Cassie ? » pour la faire réagir, la statue de sel reprit vie, et avec la vie la parole.

— Bordel à queue de dieux orgiaq...


La fin se perdit dans le souffle de Coriolan.

Quand enfin, après un long moment, Coriolan défit le baîllon de son baiser, Cassie trouva encore la force de murmurer:

— Maintenant, je peux mourir...




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Enfin, Coriolan arrêta le moteur et demanda à sa compagne de garder les yeux fermés. Il l'aida à descendre de voiture, la guida de quelques pas.

— Voilà ! Tu peux ouvrir les yeux maintenant, lui souffla-t-il dans le dos.

Surprise, Cassie tourna sur elle-même en découvrant le café de leurs années étudiantes, puis le scruta attentivement, hésitant à comprendre.

Une expression grave s'était inscrite sur les traits de Coriolan qui lui expliqua, en réponse à sa question muette :

— Recommençons sur de nouvelles bases... si tu veux bien...

— Mais...Tu as dit que cet endroit était cher à ton coeur ? Que c'était là que tout a commencé ? Oh...


Elle lui avait tourné le dos pour parler et il en profita pour l'enlacer dans cette position. Finalement, lui parler sans voir son visage était plus facile. Aussi prit-il une grande inspiration avant de se lancer dans sa confession.

Il lui expliqua que, oui, cet endroit était cher à son coeur parce que c'était là qu'il l'avait vue pour la première fois et que chaque détail était resté gravé dans sa mémoire. Comment elle était habillée. Comment elle était coiffée. Comment elle se mouvait et comment elle riait aux éclats. Il lui raconta sa fascination face à son excentricité où perçait une pointe de désespoir. Son agacement de la voir n'accorder son intérêt qu'à Azra. Son envie brutale de l'arracher à ses bras pour lui crier qu'il existait et qu'il avait besoin de respirer sa joie de vivre, lui toujours si introverti et si maître de lui.

— Tu sais, continua-t-il d'une voix basse, je n'ai jamais éprouvé avant toi le désir d'approfondir une relation avec une femme. Je me le suis toujours défendu. Tu m'as demandé dans la cave si j'avais peur de toi. A cet instant, je peux te le dire : je n'ai plus peur... Enfin, cela ne dépend plus que de toi...

Et avant qu'elle ait pu lui répondre, il enchaîna rapidement :

— Mais je préfère te prévenir : j'ai un caractère de cochon, je déteste le désordre, je ne suis pas très romantique, j'ai une chatte qui partage ma vie et qui se montre d'une jalousie maladive, je...


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Coriolan s'engouffra enfin dans sa voiture, actionna machinalement sa clé de contact et démarra dans une embardée asthmatique. Il ne comprenait pas pourquoi il se montrait si fébrile. Premièrement, il n'était pas sûr de rattraper la jeune femme. Deuxièmement, il y avait fort peu de chances pour qu'elle l'accueille avec amabilité vu la manière dont elle était partie, en catimini – du Cassie tout craché ! Troisièmement... troisièmement, il avait une envie folle de tordre le cou à Azra pour lui apprendre à lui mettre de fausses idées en tête et à l'obliger à courir après une femme... Lui, Coriolan Galen ! C'était proprement impensable !

« Bon, tu la ramènes chez elle et basta ! Tu ne vas quand même pas t'encombrer d'une femme qui a l'air plus compliquée que toutes celles que tu as déjà connues... et ça commence à faire légion... Elle risque de s'attacher et après, ce sera trop difficile pour t'en débarrasser... Et surtout, tu n'acceptes pas de dernier verre... Tu la largues gentiment en bas de chez elle et basta... même si elle insiste ! Surtout si elle insiste ! Pas de dernier verre... D'accord ? D'accord... »


Raffermi par son dialogue intérieur, il sentit pourtant toutes ses bonnes résolutions l'abandonner dès qu'il aperçut sa silhouette au loin. Comment faisait-elle pour avoir cette démarche inimitable, mélange de légèreté et de grâce fragile qui lui inspirait immanquablement des élans de tendresse insoupçonnée ? Un air des Doors, souvenir de ses lointaines années fac, fleurit spontanément sur ses lèvres :

She's walking down the street
Blind to every eye she meets
Do you think you'll be the guy
To make the queen of the angels sigh ?

Ce sourire qu'elle lui jeta quand il ralentit à sa hauteur et qu'il l'interpella... un sourire à vous attacher le coeur et à vous mener jusqu'au bout du monde... si l'on n'y prenait garde ! Mais Coriolan n'était pas du genre à défaillir comme une femmelette au premier sourire venu, aussi rayonnant soit-il...

« Un verre, et c'est tout... » se morigéna-t-il en sentant ses défenses flaiblir mais il lui rendit inconsciemment son sourire.

Il fut soulagé quand il entendit des borborygmes incompréhensibles sortir de sa bouche une fois qu'elle se fut installée dans sa voiture : des deux, c'était bien elle la plus intimidée. Tout était donc dans l'ordre des choses...

Histoire de bien enfoncer le clou et de lui faire comprendre qu'il savait pour le piquant épithète dont elle l'avait gratifié jadis, il mit en route son lecteur de CD.... et surveilla sa réaction du coin de l'oeil.

— Je crois savoir que tu aimes cette chanson, Cassie...

Le fou rire qui la secoua après un moment de stupéfaction l'emporta avec elle, toutes digues rompues.

Aussi ne s'attendait-il pas à ce qu'elle lui avoue aussi spontanément, comme une évidence à laquelle elle n'avait jamais songé :

—Tu es beau quand tu souris.

Cette simple phrase le déstabilisa. Un court instant. Mais assez pour qu'il ne lui réponde qu'à contre-temps :

— Ah bon ? Seulement quand je souris ?


Il eut l'impression que son ton moqueur n'avait pas suffi à masquer ses émotions car une lueur d'amusement s'était allumée dans le regard bleu lagon et elle choisit malicieusement d'entonner « Les Cactus ». Enfin, massacrer aurait été un plus juste mot. Les fausses notes n'empêchaient pas Coriolan de profiter de la chanson. De remonter en pensée le cours du temps. D'effacer le chapitre de ce fameux après-midi de printemps où une jeune étudiante exubérante l'avait ignoré, pour en réécrire un autre plus à sa convenance. Etait-ce seulement possible d'ignorer tout un long pan de son existence ? Ce pan où elle n'avait pas été ?

Pris d'une subite inspiration, Coriolan bifurqua à gauche.

— Hé ! Mais ça n'est pas le chemin de mon appartement, Coriolan...

— Je sais, Cassie, mais... il se racla la gorge. J'ai envie de te montrer un endroit cher à mon coeur. Un endroit où tout a commencé pour moi. Je te demande juste de me faire confiance. Le veux-tu ?

La jeune femme hocha silencieusement la tête.

— Fort bien. Alors ferme les yeux et surtout ne triche pas !

Ils roulèrent sans échanger une parole. Les mots étaient inutiles dans cette attente presque palpable.


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Soulagé, il se leva d'un bond pour aller à sa rencontre.

— Bonsoir, madame, vous avez une nièce bien charmante... mentit-il, heureux d'être délivré aussi rapidement.

— A vrai dire, Nour n'est pas ma nièce. La pauvre petite vient de perdre sa maman et je la ramène à son père. Peut-être pouvez-vous m'aider ? Il s'appelle Azra BenKalish...

A ces mots, Coriolan se sentit foudroyé sur place.


Puis il souleva la petite Nour pour la détailler avec intérêt et s'aperçut de sa ressemblance criante avec son ami. Il se demandait d'ailleurs comment ce petit air de famille avait pu lui échapper.

Il sourit chaleureusement à l'enfant :

— Je connais très bien ton papa, petite Nour. Il va être fou de joie. Surtout, prends grand soin de lui... Décidément, c'est la journée des révélations !! acheva-t-il en rendant l'enfant à la femme.

Puis il s'éloigna en soufflant des baisers à la petite fille.


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L'air délicieusement frais du dehors arrêta Coriolan à quelques mètres de son véhicule. Il respira profondément, l'esprit encombré de scènes qui lui semblaient décousues et qu'il avait bien du mal à rassembler en un épisode cohérent. Il farfouillait sa poche à la recherche de son paquet de cigarettes lorsqu'il aperçut une petite fille qui le regardait avec insistance.

Quand elle amorça quelques pas dans sa direction il prit son expression la plus sévère dans l'espoir de la décourager d'approcher. En vain.


Arrivée près de lui, elle s'accrocha à son pantalon et il fut bien obligé de s'agenouiller pour se mettre à sa hauteur.

« Abomination de la désolation ... Les enfants, c'est comme les chats en fait ... ils vont toujours vers ceux qui ne les aiment pas !! »

— Oui ? Tu as besoin de quelque chose ?

— Dis, monsieur, pourquoi tu portes une perruque ?

— Ah, mais ce n'est pas une perruque ! Ce sont mes vrais cheveux !!

Et comme pour vérifier ses dires, la petite fille agrippa dans sa menotte une longue mèche échappée du catogan, qu'elle tira férocement.

Coriolan grimaça de douleur. Tout en libérant précautionneusement ses cheveux du petit poing fermé, il surveillait les alentours dans l'espoir de voir surgir les parents. Évidemment, personne ne se manifesta. C'était bien sa veine !

— Tu es avec ta maman ?

La petite fille hocha la tête en signe de dénégation.

— Tu es avec ton papa, alors ?

Nouvel hochement de tête.

— Tu es toute seule ? Demanda-t-il, vaguement inquiet à l'idée de se retrouver avec l'enfant sur les bras.

— Je suis avec tatie. Elle parle au téléphone. Là-bas... indiqua-t-elle du bout du doigt. Alors j'a partie devant... Et puis je t'a vu !

— Quelle chance ! Maugréa-t-il. Bon. Je suppose qu'on n'a plus qu'à attendre ta tatie. Viens, on va patienter sur ce banc.


Après l'avoir hissée dessus, il s'installa à ses côtés, cala son menton dans la paume de sa main et attendit.

Il guettait l'entrée de la salle de réception, espérant que quelqu'un – une femme de préférence, car les femmes , c'est bien connu , savent toujours comment se comporter avec les enfants! - vienne le sauver de ce tête-à-tête improbable.

Il sentait sur lui le regard insistant de la fillette qui, indisposée par cette immobilité forcée, se tortillait sur le banc.

— Je m'appelle Nour, et toi ?

Coriolan poussa un profond soupir.

— Coriolan.

Puis, il se tut, ennuyé à l'avance de devoir subir le babillage insipide de la gamine.

La petite fille pencha la tête de côté pour tenter d'accrocher son attention.

— Dis, Coyolan, t'as une amoureuse ?

Il sursauta, surpris par cette question inattendue.

« Misère de misère, je rêve ou je suis en train de me faire draguer par une rase-moquette ? Si Azra me voyait, il m'accuserait de les prendre au berceau... »

— Tu es bien curieuse, dis-moi...

— Moi, je suis sûre que t'as une amoureuse...insistait la petite Nour .

— Une amoureuse ? Pourquoi une seule ?

Il s'inclina vers elle et lui murmura sur le ton feutré du secret.

— En fait, j'ai plein d'amoureuses, Nour.

La fillette posa sur lui des yeux arrondis de surprise, puis, se mit à rire sous cape, comme enchantée de la plaisanterie.

— Ha mais c'est pas possible, Coyolan... tu peux pas avoir plein d'amoureuses... Tu dois en en choisir une !

— Tu crois ?

Il fut interrompu par l'arrivée d'une femme d'une trentaine d'années. La tatie de Nour, sans aucun doute.


26



— Elle m'a comparé à un cactus, grogna Coriolan, de mauvaise humeur.

— Mais enfin, c'était il y a douze ans ! Il y a prescription, non ? Et puis, c'est Cassie quoi !

Coriolan ne répondit pas.

L'épithète dont Cassandre l'avait affublé naguère l'avait blessé bien au-delà des mots. Seule l'amertume avait subsisté. Il s'était évertué à l'oublier, à la chasser de sa mémoire comme on enfouit un livre honteux au fond d'un tiroir. Car il avait eu honte. Honte d'être tombé amoureux d'une femme qui finalement n' était pas différente de ceux qui l'entouraient et qui n'allaient jamais au-delà des apparences.

Azra, qui l'observait en silence, suivait le cours de ses pensées au fur et à mesure que celles-ci se formulaient dans son esprit.

— Coriolan, ne laisse pas ton orgueil tout gâcher...

— Gâcher quoi ? Il n'y a rien à gâcher !

Azra soupira profondément devant l'entêtement de son ami.

— Ta fierté t'empêche de te l'avouer mais tu l'aimes... Et pire que tout, tu as honte de cet amour, honte de reconnaître ce qui n'est à tes yeux qu'une intolérable faiblesse... Tu es trop fier, Coriolan... à moins que tu ne sois trop lâche...

Coriolan se retourna vivement :

— Quoi ?

— Exactement. Tu te sers de la trahison de ta mère pour ne pas t'attacher mais la vérité c'est que le beau, l'irrésistible Coriolan, pour lequel la plupart des femmes se pâment, meurt de peur à l'idée que ses sentiments ne soient pas partagés par la seule femme trouvant grâce à ses yeux !

— Et bien sûr, cette femme serait Cassandre ?

— C'est ce que je me tue à faire entrer dans le tréfonds de ta caboche entêtée depuis au moins dix bonnes minutes... J'ai raison, n'est-ce pas ?

Coriolan garda le silence.

Il repensait à la scène de la cave, au moment où Cassie s'était confiée à lui.

Il fit un effort surhumain pour chasser les émotions qui menaçaient de le submerger. Surtout, rester maître de soi.

Malgré tout, il avait été profondément touché par les confidences de la jeune femme, par le courage dont elle avait fait preuve en se dévoilant à lui. De ses paroles, il n'avait ressenti qu'une chose : sa souffrance, comme un écho à la sienne. Il n'avait été alors qu'une envie : la prendre dans ses bras, la bercer contre lui pour la protéger d'elle-même et de ses démons, mais, fidèle à ses principes, il s'était contenté de poser une main sur son épaule dans une compréhension de tout son être.

Ne l'avait-il pas perdue en faisant semblant de ne pas comprendre ses aveux ?

Quelle ironie ! Il avait eu deux fois le coup de foudre dans sa vie sans savoir que c'était pour la même femme. Cici et Cassie. Cassie et Cici.

Mais son esprit luttait encore malignement contre cette évidence. Malgré la confession pudique de Cassie dans la cave. Malgré les paroles clairvoyantes d'Azra. Tiraillé par ses sursauts de révolte d'homme qui voit sa liberté menacée par une femme, il tenta une dernière fois de se défiler.


— C'est impensable, Azra ! Pour ne pas dire impossible... Je me suis montré absolument odieux avec elle chez mon éditrice. Ensuite, j'ai pris plaisir à la mettre mal à l'aise les rares fois où nos chemins se sont à nouveau croisés ! J'ai tout fait pour qu'elle garde de moi un souvenir détestable ! Alors pourquoi m'aimerait-elle ? Franchement, Azra, toi qui me connais, que peut-elle bien aimer chez moi ?

— Euh... je sais pas... tes cheveux ? Rétorqua Azra, mi-figue mi-raisin.

Coriolan fixa sur Azra un regard interloqué. Les yeux de celui-ci pétillaient de malice.

— Pardon. Je n'ai pas pu m'empêcher : tu aurais vu ta tête... Crois-moi, Corio, tu vaux mille fois mieux que l'image de séducteur cynique que tu t'es entêté à donner de toi, continua-t-il sur un ton plus sérieux. Seulement, tu ne le sais pas encore. Laisse juste une chance à Cassie de te faire découvrir l'homme que tu es vraiment.

— Abomination de la désolation ! Tu parles comme les héros de mes romans ! Et crois-moi, ce n'est pas un compliment...

— Ca veut dire que tu vas aller la rejoindre ? Au cas où, elle habite 7 rue du Tambour !


Coriolan écrasa sa cigarette dans le cendrier.

Il se dirigea d'un pas déterminé vers la sortie, puis, arrivé à la porte, il eut comme une dernière hésitation et s'arrêta. Il tourna la tête vers Azra, son éternel sourire sardonique aux lèvres.

Azra, résigné, attendit la moquerie, qui vint :

— Alors comme ça, c'est vrai ? T'aimes mes cheveux ?

— Rhaaaaaaaaaaa... qu'il est con, mon dieu, qu'il est con ! Râla-t-il en levant vers le plafond un regard consterné. Au lieu de me débiter tes âneries, tu ferais mieux d'essayer de la rattraper, va !

Il entendit ses pas décroître dans le couloir.

« Pourvu qu'il n'aille pas faire tout capoter avec son fichu caractère »



25



C'était Azra qui, sans tenir compte de ses protestations, l'entraînait à l'écart dans un bureau annexe et refermait soigneusement la porte derrière eux.

— Quelle mouche t'a piqué ? J'étais en train de...

— Il faut qu'on parle !

— Et ça ne pouvait pas attendre deux minutes ? La rouquine-là – mince, comment s'appelle-t-elle déjà ? Vicky ? Oui, c'est ça, Vicky - était sur le point de me donner son numéro de téléphone...mentit effrontément Coriolan qui tentait vaille que vaille de rassembler les lambeaux de son ego en déroute.

Azra croisa les bras de mécontentement et poursuivit assez sèchement :

— Cassandre vient de partir...


A ces paroles, le visage de Coriolan se crispa légèrement. Il n'en demanda pas moins sur le ton de l'indifférence feinte :

— Et alors ?

— Et alors... Vous allez encore jouer longtemps au jeu du chat et de la souris ?

— Plaît-il ? Grinça l' écrivain avec ce mélange de hauteur et de suffisance que les autres jugeaient si exaspérant mais qui était sa manière, polie, de remettre à leur place ses interlocuteurs estimés trop curieux.

— Tu as parfaitement entendu... Tu crois que je ne vous ai pas vus pendant la réception ? A vous éviter avec un soin tellement constant que la vérité s'est imposée d'elle-même à mon esprit ! Cassandre t'aime et tu aimes Cassandre.

— Ridicule...

— Ridicule ? Pas tant que cela... Je vous ai assez épiés dans la salle de réception : tu l'observais avec acuité quand tu la croyais distraite et Cassandre de son côté rivait sur toi des yeux adorateurs quand ton regard était occupé ailleurs... Quoique tu en dises, vos regards vous ont trahis !


A cette tirade, les yeux de Coriolan s' étrécirent en deux fentes étroites qui ne laissèrent rien filtrer de ses pensées. D'un geste machinal, il sortit une cigarette de son paquet, la porta à ses lèvres. Il dut s'y prendre à plusieurs fois avant de réussir à allumer le briquet, tant et si bien qu'il tourna le dos à son ami pour lui cacher le léger tremblement de ses mains.

Il ne voulait pas qu' Azra remarque son trouble.

Il aspira une grande bouffée de nicotine, profondément, comme si sa vie en dépendait, puis recracha lentement la fumée.

Le calme revint en lui.

Il maîtrisait à nouveau ses gestes. Il maîtrisait à nouveau ses pensées. Tout ceci n'était que fumeuses allégations sorties tout droit de l'imagination trop romanesque de son meilleur ami. Oui, Azra se trompait. Il ne pouvait en être autrement.

Il s'approcha de la fenêtre, posa son front brûlant contre la vitre.

La pénombre avait envahi le jardin. Quelques lampadaires éclaboussaient de taches de lumière les trottoirs déserts. Au loin, un chien aboya. Il entendit distinctement le claquement de hauts talons s'éloigner dans la nuit puis entre-aperçut un large chapeau disparaître au coin de la rue. Cassandre...Pourquoi éprouvait-il cette douceur mêlée de douleur en évoquant son nom ?

Azra, que le silence buté de son ami ne décourageait pas, décida de jouer son va-tout :

— Coriolan, il faut que tu saches. Cici, c'était Cassandre en fait...

Coriolan sursauta, comme piqué au vif. Un flot de sentiments contradictoires l'assaillit, mélange de colère et de trouble. Il se souvenait. Enfin, il se souvenait.

Il n'avait rien oublié de leur première vraie rencontre, dans ce café fréquenté par les étudiants. Non, il n'avait rien oublié. Ni la curiosité teintée d'amusement face à son exubérance mutine. Ni la sensation d'être foudroyé sur place quand elle s'était approchée d'eux pour les inviter à sa table. Ni surtout le dépit qui avait suivi quand il s'était rendu compte qu'elle ne l'avait pas remarqué, dédaignant ses regards appuyés, trop occupée qu'elle était à attirer l'attention d'Azra. Il s'était alors effacé. Mais il n'avait pu l'oublier. Toujours, dans les premiers temps, ses conversations avec Azra revenaient sur elle : il ne pouvait s'empêcher de le taquiner sur son amoureuse transie jusqu'au jour où Azra avait maladroitement répété les paroles de la jeune fille.


24



L'importun n'était autre que Calvin qu'il n'eut pas le cœur de rabrouer.

— Je reviens tout de suite, promit-il à la jeune femme blonde.

Et il s'éloigna avec Calvin de quelques pas.

Le jeune homme fourrageait sa toison, une expression embarrassée peinte sur tout le visage.

— Oh toi, tu as un service à me demander... J'espère que ce n'est pas ma voiture que tu convoites car je ne la prête à personne... Le tour de tout à l'heure ne t'a donc pas suffi ?

Calvin lui adressa un sourire crispé.

— Euh non...si... tu n'y es pas du tout... je... euh... j'aurais juste besoin que tu ailles chercher des chaises à la cave... et... euh...

— Des chaises ? A la cave ? Moi ? Ne me dis pas qu'à ton âge, tu as encore peur du noir ! Tu sais, il y a fort peu de risques pour que tu y croises Diablo, tapi dans un recoin sombre, ne put-il s'empêcher de le taquiner.

Calvin émit un rire forcé :

— Non, bien sûr que non... Azra m'a chargé d'y aller mais j'ai un truc extrêmement important à lui dire... s'il te plaît... c'est vraiment très important... et personnel... s'il te plaît... Je dois lui parler absolument !

Coriolan hésita un instant, mais l'air suppliant de Calvin le convainquit d'accepter.

— Tu as gagné... Mais gare à toi si tu t'es moqué de moi...




En remontant de la cave un long moment plus tard, Coriolan dut s'appuyer un moment contre le chambranle de la porte. La scène qui venait de se dérouler avec Cassandre l'avait ébranlé bien plus qu'il ne l'aurait voulu. Il laissa la jeune femme s'éloigner le temps de reprendre ses esprits. Comment pourrait-il désormais se comporter en sa présence d'une manière naturelle ? Et surtout qu'attendait-elle de lui ? En tout cas, rien de ce qu'il ne pourrait – ne voudrait – lui donner. Il décida qu'une explication s'imposait avec Azra mais avant toute chose, il avait besoin d'une cigarette pour apaiser le tourment de son esprit. Perdu dans ses pensées tumultueuses, il buta contre la petite Vicky qu'il eut juste le temps de rattraper par le haut du bras.

— Non, mais c'est dingue ça, vociféra la demoiselle avant même qu'il ait le temps de s'excuser, vous vous êtes tous donnés le mot ou quoi ?


Interloqué devant tant d'agressivité, Coriolan en oublia de répliquer. Puis, il remarqua les longues traînées de mascara qui maculaient ses joues, mais la jeune fille le coupa dans son élan de sympathie en le rabrouant sur un ton à peine moins rogue :

— Rien rien, laissez tomber...

Et elle s'adossa contre le mur. Un peu déstabilisé par ces manières , Coriolan choisit finalement de lui tendre son mouchoir tout en mimant le geste de s'essuyer la figure. Après un moment d'hésitation, Vicky le prit.

— Merci... fit-elle, assez séchement. C'est parce que je suis laide ou que je vous fais pitié?

— Détrompez-vous : je n'agis que par pur égoïsme...

Et comme elle haussait les sourcils de surprise, il continua presque malgré lui:

— Je déteste voir pleurer les jolies filles...

Aussitôt prononcées, il regretta ces paroles dignes d'un dragueur de bas étage et qui n'obtinrent de Vicky qu'un pouffement de rire ironique. Il reconnut en son for intérieur qu'il avait bien mérité cette réaction. Il tenta alors d'effacer l'impression désastreuse de sa dernière phrase :

— Et si vous me confiez ce qui vous chagrine ? Parfois, il est plus facile de parler à un parfait inconnu...

— Et je suis certaine que cette proposition est purement innocente... Vous perdez votre temps : je ne suis pas d'humeur à jouer les ingénues.

Sur ces paroles définitives, Vicky lui rendit son mouchoir, accroissant le désarroi du jeune écrivain. Que lui arrivait-il ? C'était la première fois qu'il enchaînait déboire sur déboire en une seule journée. Il ne pouvait pas quitter les lieux sur cette note lamentable : repartir seul et donner ainsi raison au Suédois. Il s'apprêtait à la retenir quand il se sentit vivement tirer en arrière.


23

Un coup d'œil vers la belle eurasienne lui apprit que c'était le moment ou jamais de l'aborder. Il happa deux coupes de champagne au passage et se dirigea vers la mystérieuse inconnue. Il attendait ce moment depuis la sortie de l'église. Cela faisait longtemps que ses yeux ne s'étaient pas posés sur une femme aussi magnifique : sa fine silhouette racée, son magnifique teint d'ivoire que faisaient ressortir de magnifiques cheveux d'ébène et de magnifiques yeux sombres, sa grâce altière, tout chez elle personnifiait l'essence même de la féminité.


Arrivé à sa hauteur, il lui tendit une de ses coupes en accompagnant son geste de son sourire le plus charmeur :

— Par quelle étrange circonstance la plus belle femme de l'assemblée se retrouve-t-elle seule ?

— Seule ? Sourit l'inconnue en le dévisageant avec curiosité. Quelle drôle d'assertion... Je ne me sens pas seule... Par contre, je ressens beaucoup de solitude parmi cette poignée de gens rassemblée ici. C'est triste, mais quand je jette un œil autour de moi, je me dis que Morgane n'avait pas tant de proches que ça... Je pensais qu'elle avait beaucoup plus de connaissances... Vous étiez un ami ?

— Un ami ? On ne peut pas vraiment dire ça comme ça... Morgane était l'ex-compagne de mon meilleur ami, mais nous ne nous entendions guère...

— Ah ? Fit-elle avec une pointe de déception dans la voix. Morgane était pourtant une jeune femme affable et enjouée, et qui avait le don d'attirer la sympathie.

— Eh bien, ce n'est pas du tout l'image que je garderai d'elle, désolé ! De toute façon, on ne connaît jamais vraiment l'autre, n'est-ce pas ? Vous, par exemple, êtes-vous aussi mystérieuse et captivante que ce que vous semblez dégager ?

— A chacun ses mystères, cher monsieur, et j'ai bien peur que le mien ne reste entier... pour l'instant tout du moins ! Ajouta-t-elle dans un sourire énigmatique, presque séducteur.

Ce sourire eut pour conséquence de raviver les espérances du jeune écrivain, qui déchanta pourtant dès la phrase suivante :

— Pour l'heure, j'ai du mal à croire que vous ne puissiez trouver une seule qualité à cette pauvre Morgane. Après tout, vous l'avez suggéré vous-même, que saviez-vous vraiment d'elle ?

— Abomination de la désolation ! Se désespéra presque Coriolan sur un ton de doux reproche. Pourquoi tout cet intérêt pour Morgane ? Elle est morte mais je suis vivant moi !

L'inconnue posa un regard rêveur sur son interlocuteur tout en trempant ses lèvres dans le champagne frais.

— Certes, certes... Vivant, dieu merci, tout comme ce jeune homme, là, au fond... Je viens d'apprendre que c'était son cousin Calvin. Vous vous rendez compte ? Jamais Morgane ne m'en avait parlé !

— Vous étiez donc si proche d'elle ? Depuis quand la connaissiez-vous ? C'est étrange mais je ne vous ai jamais aperçue en sa compagnie. Et pourtant, un visage aussi enchanteur que le vôtre serait resté gravé dans ma mémoire...

— Tout comme le vôtre, tout comme le vôtre... Puis-je vous confier mon sentiment ? J'ai de la peine pour ce gamin. Vous imaginez le déchirement qu'il peut ressentir ? Il aura sûrement besoin de soutien et de compagnie. Si seulement je savais où il vivait, je lui aurais volontiers rendu visite. Peut-être avez-vous une adresse à me communiquer...?

— Malheureusement, je ne l'ai pas en tête mais... si l'idée de me laisser votre numéro ne vous dérange pas, je vous promets de vous rappeler. Au fait, comment vous appelez-vous ?

— Appelez-moi Diamond... juste Diamond.

Il était sur le point de se présenter à son tour quand une phrase lancée d'une voix clairement distincte par la jolie blonde le fit se retourner illico :

— Tu ne m’avais pas dit un jour que le seul homme que tu reconnaîtrais n’importe où et n’importe quand serait l’homme de ta vie ?


Le doute n'était plus permis : en voyant l'air affreusement gêné de Cassandre posé sur lui, il comprit que les deux jeunes femmes étaient en train de parler de lui ! Qu'est-ce que cette écervelée était donc allée inventer ? Il avait toujours eu horreur de ce genre de commérages, et davantage encore de celles qui le colportaient.

Oubliant Diamond et ses projets galants, il profita de la fuite de Cassie – décidément, cette dernière maîtrisait ce genre de lâcheté avec un art consommé – pour s'adresser à la jeune femme blonde.

— J'ai cru comprendre que vous parliez de moi...

Puis il continua sans tenir compte de la gêne que son interlocutrice semblait éprouver à cette entrée en matière un brin cavalière :

— A l'avenir, si vous avez besoin de savoir quoique ce soit à mon endroit, adressez-vous directement à moi, je me ferai un plaisir de satisfaire votre curiosité !

— Mais... je... protesta-t-elle en piquant un fard. C'est ma cousine qui s'intéresse à vous, pas moi...

L'air faussement sévère, il prit tout son temps pour la détailler avant de reprendre la parole sur un ton plus doux :

— Ah ? Cassandre Parlanti est votre cousine ? Vous ne vous ressemblez pas du tout... et croyez-moi, c'est tout à votre avantage ! D'ailleurs, je me demandais... votre cousine aurait-elle des problèmes d'argent ?

— Des problèmes d'argent ? Non, pas que je sache... Pourquoi cette question ?

— Une idée comme ça... Enfin, à la voir ainsi vêtue, on a l'impression qu'elle est allée faire son shopping chez Emmaüs, vous ne trouvez pas ?

Il eut le plaisir de la voir étouffer un éclat de rire entre ses doigts effilés.

— Vous devriez avoir honte, lui reprocha-elle – mais ses yeux pétillants démentaient ses propos. Ma pauvre cousine est certes un peu excentrique... mais ce n'est pas un crime !

— Non, effectivement... le seul crime que l'on pourrait lui reprocher, c'est de m'avoir caché l'existence de sa belle et jeune cousine... sans oublier son absolu mauvais goût en matière vestimentaire, je suis définitivement intraitable sur ce dernier point.

Ce disant, sans même qu'il l'ait décidé, son regard chercha celle qu'il était en train de dénigrer. Elle aussi le regardait et il en fut agacé au plus haut point. Il éprouva soudain l'envie puérile de la faire enrager, et comment mieux faire enrager une femme qu'en accordant tout son intérêt à une autre ? Il eut honte de vouloir rendre jalouse Cassandre en se servant de cette jeune cousine providentielle mais c'était plus fort que lui : dès que la brunette se trouvait dans les parages, un mélange de rage et de colère l'envahissait, qu'il camouflait sous un flegme apparent nuancé d'un soupçon d'ironie.

Mais il n'eut pas le temps de pousser son projet très avant car peu après il sentit quelqu'un le tirer par la manche.


22




A part Cassie et Azra, Nigel était le seul dans sa tranche d'âge qu'il connaissait déjà. Il ne pouvait décemment pas monopoliser son ami, qui se devait à ses invités en ce jour si particulier. Quant à Cassandre, sans qu'il sache pourquoi, sa fierté le retenait de faire le premier pas bien qu'il se sentît des torts envers elle. Il faillit pourtant se raviser quand il l'aperçut, seule en plein milieu de la salle, avec un air perdu et désemparé à vous fendre le cœur. Leurs regards se croisèrent. Il esquissa à son attention un sourire d'encouragement... qui se figea en un rictus de déconvenue quand la jeune femme déclina son offre de paix en détournant brusquement la tête.

C'est donc d'un pas soulagé qu'il se dirigea vers le Suédois à qui il sourit amicalement :

— Bonjour... Nigel, c'est ça ? Je suis ravi de te revoir, même si j'aurais préféré que ce soit dans d'autres circonstances...


Nigel prit tout son temps pour lui serrer la main tout en scrutant les alentours d'un air faussement étonné.

— Pas possible, Galen ! Tu as cassé ton joujou extra que tu arrives seul à la réception ? Ça craint...

A ces mots, Coriolan haussa un sourcil d'incompréhension, surpris de déceler dans le ton du jeune homme un soupçon d'agressivité. Puis son regard se porta sur sa compagne, dont la grossesse semblait déjà bien avancée.

— Mazette, tu es à cran, se moqua-t-il en songeant qu'allongée sur un lit Kaya devait ressembler à une baleine échouée sur une plage – un véritable tue-désir ! Si je puis me délester d'un conseil, tu devrais canaliser ton surplus d'énergie en multipliant les séances de sport ! Je vais d'ailleurs en toucher deux mots à Azra... Pour le reste, continua-t-il en lui tapotant paternellement l'épaule, ne te fais donc pas de souci pour moi : l'important n'est pas d'arriver seul mais de repartir accompagné...

Il souligna ces paroles d'un clin d'œil suprêmement narquois.

Avant de prendre congé, il ne résista pas à l'envie de titiller encore un peu le Suédois.

— Au fait, toutes mes félicitations, Kaya. Je ne sais pas si vous connaissez le sexe de votre bébé, mais si vous accouchez d'un petit gars, que diriez-vous de l'appeler Coriolan ?

Puis il s'éclipsa avant que Nigel ait repris ses esprits. En contournant l'une des tables, son regard croisa à nouveau celui de Cassandre, intensément posé sur lui. Elle semblait en plein conciliabule avec une jeune femme blonde qui le détaillait avec intérêt.

«Tiens... On parle de moi à ses amies ! En se plaignant de mes mauvaises manières, j'imagine...»

Et ce fut à son tour de détourner la tête sans vergogne.


21




Cette voix... Si claire et si musicale... Brusquement arraché au charme de cette apparition, Coriolan rejeta son buste en arrière, croisa les bras contre sa poitrine pour ne pas avoir à la saluer, furieux de reconnaître la voix de celle qui avait si bien percé à jour le secret de son pseudonyme.

— Plaît-il ? Lâcha-t-il entre ses dents avec toute la hauteur dont il était capable.

— Je... tu... bafouilla la jeune femme décontenancée par la froideur de son interlocuteur. Enfin, Coriolan, on se connaît, non ? Tu ... tu ne te souviens pas ?

— Je ne crois pas, non ! J'ai toujours été très exigeant sur le choix de mes fréquentations, continua-t-il sur un ton glacial tout en détaillant ses oripeaux et ses breloques colorés comme on regarderait un objet de pacotille. Et je préfèrerais que l'on s'en tienne au vouvoiement : le tutoiement est seulement pour mes amis !

Satisfait, il vit les épaules de la péronnelle s'affaisser et son joli visage se chiffonner – allons, encore un petit effort, et elle prendrait la porte sans demander son reste, comme toutes les autres illustratrices avant elle.

Il ignora Adèle qui menaçait discrètement de lui trancher la gorge. Au moment où il allait poursuivre sur sa lancée, son éditrice s'exclama sur un ton qu'elle voulait bonhomme :

— Allons, mignonne, ne vous laissez pas impressionner par ce phallus sur deux pattes ! Il aime rugir mais il n'a encore mordu personne... enfin, pas à ma connaissance... Asseyons-nous et commençons par parler travail, nous n'avons perdu que trop de temps !


Sournoisement, Coriolan choisit de s'asseoir sur le même canapé que la demoiselle, étendit nonchalamment son bras dans son dos.

— C'est cela, parlons travail ! A ce propos vous me semblez bien jeune... Quel âge avez-vous donc ?

— Vingt-trois ans mais...

— Une débutante ! C'est bien ce que je craignais ! Avez-vous eu le temps d'acquérir quelque expérience dans le métier ?

— A vrai dire, je...

— Rassurez-moi, la coupa-t-il encore, vous savez illustrer autre chose que Martine à la ferme ou Petit Ours brun ?

— Mais bien sûr, je...

Puis elle se tut, lasse d'être bousculée par cet homme qui n'avait même pas la courtoisie de l'écouter jusqu'au bout.

Le secours vint d'Adèle qui suggéra d'une voix douce:

— Mignonne, et si vous montriez à Coriolan vos dessins? Ils parlent d'eux-mêmes...

— Bonne idée, montrez-moi donc ces chefs d'œuvre en péril qu'on en finisse au plus vite !

Malgré le ton volontairement insultant, la jeune fille obtempéra en lui tendant son carton à dessins, sans toutefois oser le regarder.

Un silence tendu s'installa tandis que Coriolan s'attardait sur chacun des croquis. Cette petite avait du talent, un talent indéniable. Il en venait à regretter ses paroles dures et mesquines mais il était trop fier pour le reconnaître.

Ce fut Adèle qui le tira d'embarras.

— Alors, Coriolan, ton verdict ? As-tu d'autres questions à poser à Mlle Parlanti ?

Il répondit à son éditrice en se tournant vers la jeune illustratrice qu'il fixa intensément :

— Non, toute question serait désormais superflue... Mais j'ai une requête... en forme d'épreuve en fait.

Et il tendit à la jeune fille une feuille de papier sans la quitter des yeux tandis que ses lèvres esquissaient un sourire à la fois moqueur et complice :

— Dessinez-moi donc Olympe de Courge telle que vous vous l'imaginez...




Quand il revint sur terre, Cassandre était toujours en face de lui, sa main dans la sienne.

Il resserra la pression de ses doigts autour des siens quand il sentit qu'elle tentait de s'échapper, puis se pencha vers elle pour n'être entendu que d'elle seule :

— Eh non, Cassandre, pas de fuite possible aujourd'hui... ni de poubelle derrière laquelle te cacher...

La confusion de la jeune femme était à son comble. Aussi, eut-il pitié d'elle et relâcha-t-il son étreinte.

— Allez, je te rends ta liberté... Fais-en bon usage Petit Chaperon tout de noir vêtu... et gare au grand méchant loup...acheva-t-il dans un sourire carnassier.

En s'éloignant, il l'entendit avec une certaine jubilation souffler son fameux « Je veux mourir... » entre ses dents .


20



Il décida de prolonger sa pause en se grillant une petite cigarette bien méritée. Après tout, c'était au tour de cette damnée illustratrice de l'attendre, il n'était pas à ses ordres...

Il alluma sa cigarette, inhala la fumée en fermant les yeux pour mieux en savourer le goût.

De la salle attenante lui provenaient des bribes de conversation, presque inaudibles, jusqu'au moment où une voix claire et musicale, qu'il ne connaissait pas, prononça distinctement le nom d' Olympe de Courge. Tiré brusquement de sa bienheureuse torpeur, il faillit en tomber de son tabouret, se rattrapa in extrémis au comptoir et tendit l'oreille le plus discrètement possible.

Il reconnut la voix légèrement traînante de Tamara, la jeune maquettiste fraîchement embauchée, et qui disait :

— Vous en avez de la chance de dessiner pour elle ! Ses romans connaissent toujours un immense succès ! Croyez-moi, c'est le meilleur moyen pour une jeune illustratrice comme vous d'attirer l'attention sur votre travail...

— Ah... et vous l'avez déjà rencontrée ? Le succès ne lui a pas trop monté à la tête et n'est-elle pas devenue trop exigeante envers ses collaborateurs ?

Par «exigeante», Coriolan comprit «capricieuse». Et il se prit à sourire, soudain intéressé par la suite de la conversation.

— A vrai dire, je ne l'ai encore jamais croisée ici. J'ai entendu dire qu'elle vivait la plupart du temps en recluse. Je crois que personne ne sait à quoi elle ressemble vraiment... à part Adèle Cormon évidemment. Elle n'a jamais accordé aucune interview ni participé à aucune émission de promotion ! D'ailleurs, vous ne trouvez pas que sa misanthropie se ressent jusque dans ses livres ?


— Sa misanthropie ? Ou sa misogynie ? On a l'impression qu'elle a des comptes personnels à régler avec les représentantes de son propre sexe ! Je crois plutôt qu'on a affaire à une grosse frustrée de l'amour, suite à un événement dramatique qui serait survenu dans sa jeunesse qui l'aurait suffisamment abîmée pour... Hum...Hum...Enfin bref... Qui vous dit qu'Olympe de Courge est une femme ? Puisque personne ne l'a jamais vue ! Je ne sais pas pourquoi mais je me l'imagine la voix grave, le masque viril agrémenté d'une moustache et le corps bourré de testostérones...

— Ah non ! Là, vous venez de dresser le portrait craché d'Adèle Cormon, notre éditrice !

Coriolan les entendit s'étrangler de rire telles deux collégiennes .

«Non mais, quelles bécasses! Jamais entendu des bécasses pareilles !!»

Mais il n'avait pu s'empêcher de se tapir contre la cloison, comme un animal pris au piège.

Il n'osait plus bouger, il n'osait plus respirer, il n'osait plus penser !

Enfin, il perçut le raclement de chaises que l'on déplace puis le bruit de pas qui s'éloignent. Il compta lentement jusqu'à cinq avant de jeter un coup d'œil alentour dans l'espoir de découvrir l'identité de cette mystérieuse inconnue mais les deux femmes avaient déjà disparu au fond du couloir.


Il dut alors se résigner à quitter sa cachette et à regagner le bureau de son éditrice. Après tout, rien ne pourrait être pire que ce qu'il venait d'entendre.

Un peu abattu tout de même, il poussa la porte du bureau avec l'enthousiasme d'un homme qu'on mène à l'échafaud. C'est alors que la stupéfaction le cloua sur place : la jeune femme qui parlait avec Adèle lui tournait le dos mais il reconnut immédiatement le petit farfadet rêveur qu'il avait croisé un peu plus tôt dans la rue.

— Justement, disait Adèle à l'adresse de la jeune femme, quand on parle du loup... Coriolan, enfin te voilà, mon lapin ! Laisse-moi te présenter Mlle Parlanti, qui va s'occuper de la couverture du roman... et qui fourmille déjà d'idées plus intéressantes les unes que les autres...

Comme au ralenti, il vit mademoiselle Parlanti se retourner, le fixer avec surprise – pourquoi donc avec surprise ? Il entendit le cliquetis de ses multiples bracelets quand elle s'approcha de lui , sentit son parfum suave quand elle lui tendit la main.

— Coriolan ? C'est toi Coriolan ? On se connaît, il me semble !


19




Déboulant de la cour, Coriolan heurta un passant, ignora ses invectives et leva les yeux au ciel. Le soleil vibrait dans un ciel pur, à peine effiloché de quelques nuages vaporeux. Il inspira une grosse goulée d'air – pollué – et reprit sa marche d'un pas plus tranquille.

Une foule de piétons, volontairement badauds, flânait nonchalamment sur la grande avenue qui avait troqué son air enfiévré d'activités contre un rythme plus lent, mieux adapté à cette matinée estivale. Coriolan aimait se divertir du spectacle de la rue, de ses querelles et de ses éclats de rire, de ses odeurs mêlées de friture et de goudron, de son bruit continuel comme en fond sonore.

Il ralentit encore le pas.


En face de lui déambulait rêveusement une jeune fille, à l'allure et à la démarche décalées, les yeux perdus dans les nuages et un sourire - dont elle seule en connaissait la cause- épanouissant son visage de manière irrésistible. Les passants qui la croisaient ne pouvaient s'empêcher de lui lancer des sourires amusés tant ses pensées semblaient agréables.


Coriolan eut la même réaction, détailla avec un plaisir enjoué sa frimousse de lutin espiègle, puis s'arrêta pour la regarder s'éloigner, silhouette gracieuse et colorée, aussi pétillante et évanescente qu'une petite bulle de champagne !

Une fois qu'elle eut disparu à sa vue, il reprit sa marche vers le bar-tabac. Sa mauvaise humeur s'était évaporée, comme par magie.

Il avait le sourire en achetant son paquet de Marlboro 100's. Encore le sourire en poussant la porte de sa maison d'édition, de retour de sa petite escapade. Toujours le sourire en se prenant un café au distributeur automatique située dans la salle de détente.


18


Mais ce jour-là, il se serait bien passé de ses manières brutes de décoffrage.

Coriolan perdait rarement son sang-froid mais en cet instant, il écumait de rage.


— Combien de fois va-t-il falloir que je te le répète : je ne veux pas rencontrer cette illustratrice de malheur que tu m'as dégotée ! JE – NE – VEUX – PAS !!! cria-t-il en scandant chaque syllabe d'une tape sur le bureau.

— J'ai bien peur que tu n'aies pas le choix, mon lapin, lui répondit calmement Adèle en mâchouillant son affreux cigare. Alors tu vas me peindre un sourire avenant sur ta belle petite gueule d'amour et accueillir cette jeune fille avec amabilité... Je sais que tu en es capable !

Coriolan darda sur son éditrice un regard noir de colère, tout en chassant d'une main nerveuse les volutes de fumée malodorante.

— Je suis capable de bien des choses, Adèle, mais pas d'être un autre que moi-même !

— Je sais que tu es capable de biens des choses, mon lapin, mais je sais aussi que tu as grillé avec moi tes dernières cartouches ! Alors ne m'inflige plus le désolant spectacle de ta mauvaise foi, de ta mauvaise volonté et de tes mauvaises manières qui ont littéralement traumatisé les dernières illustratrices venues ici ! En pleurs ! Se récria-t-elle, horrifiée. Elles étaient en pleurs en sortant de MON bureau ! Plus personne ne veut travailler avec MOI, Adèle Cormon ! Et tout ça pourquoi ? Parce que mon auteur fétiche se cramponne à son pseudonyme comme une vieille femme à sa marotte ! Nous sommes au mois de juillet, cela fait huit semaines déjà que tu retardes l'impression de ton livre en faisant fuir toutes les illustratrices ! J'ai eu un mal fou à en dénicher une autre qui accepte ce rendez-vous. Je te préviens, c'est ta dernière chance pour te racheter , mon lapin... et je suis sérieuse ! Et pas la peine de me faire tes yeux de velours, ça ne marche pas avec moi !


A regret, Coriolan choisit de capituler... momentanément. Il leva un regard courroucé vers la pendule puis se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche.

— Fort bien. Attendons donc ta femme providentielle. J'espère simplement qu'elle est plus sérieuse dans son travail que pour la ponctualité ! Déjà un quart d'heure de retard. C'est franchement abusé !

Sans qu'il s'en rende compte, ses doigts s'étaient mis à tapoter frénétiquement les accoudoirs du fauteuil, provoquant à la longue un soupir exaspéré d'Adèle.

— Cesse donc de pianoter ainsi, mon lapin ! Ça ne la fera pas arriver plus vite... Ne peux-tu pas te trouver une occupation plus instructive ?

En grognant, Coriolan fourra sa main dans la poche de son pantalon à la recherche de son paquet de cigarettes.

«Abomination de la désolation ! Décidément, tout se ligue contre moi.»

Il se leva pour jeter à la poubelle son paquet vide, fixa une énième fois les aiguilles de l'horloge - trois minutes à peine s'étaient écoulées – et se dirigea d'un pas décidé vers la porte.

Adèle l'arrêta d'une voix coupante :

— Où vas-tu comme ça, mon lapin? Je te rappelle que nous avons rendez-vous.

— Rendez-vous, ricana-t-il aigrement. Apparemment, nous sommes les seuls à être au courant. La ponctualité, c'est vraiment la chienlit des filles ! Je n'ai plus de clopes, je cours m'en acheter... à moins que pour cela aussi je n'aie plus mon mot à dire ?

— C'est ça, bonne idée, approuva Adèle d'un léger mouvement de la main. Sors donc prendre l'air, mon lapin, ça calmera tes ardeurs guerrières... Et surtout, ne claque pas la...

VLAN !

— ... porte... Et merde... trop tard...

Et elle se replongea dans la lecture de ses notes après avoir fait tomber les cendres de son cigarillo dans son thé désormais froid.


17


Etrangement, en serrant sa main, il se trouva transporté sept ans plus tôt, dans le bureau à la fois cossu et délicieusement bordélique de son éditrice.


Il revoyait comme si c'était hier les piles de livres qui s'élevaient un peu partout dans la pièce dans un équilibre bancal, les liasses de notes, recouvertes d'une petite écriture serrée, jonchant le bureau, les dossiers éventrés qui vomissaient leur contenu ça et là.

Quand il était en mal d'inspiration ou en plein doute, c'était dans ce bureau qu'il venait humer les mille et une histoires que semblaient lui raconter ces murs croulant sous les livres, ce canapé sur lequel s'étaient assis avant lui des dizaines de jeunes écrivains poussés par l'espoir d'être lus un jour, et même les ravines creusant les traits sans grâce d'Adèle Cormon, son éditrice...


A cette époque, Adèle et lui se connaissaient depuis six ans. Depuis le jour où elle avait décidé de lui faire confiance et de publier son premier roman ! Rejeté de toutes les grandes maisons d'édition, il s'était résigné à envoyer son manuscrit à cette petite maison d'édition, obscure, bien que plantée au fond d'une cour donnant sur l'une des artères les plus commerçantes de la ville. Et ô surprise, non seulement son manuscrit avait été lu, mais il avait eu l'heur de plaire.

Quand il s'était retrouvé face à Adèle Cormon, il avait été surpris par son aspect négligé, presque grotesque – une caricature de la vieille fille – qui ne correspondait en rien à la voix énergique et déterminée qui lui avait fixé rendez-vous par téléphone.

Elle lui avait avoué qu'elle avait été intriguée par le ton drôle et cruel qui se dégageait de son roman, mélange de désenchantement et de cynisme dont la lecture agissait, selon ses dires, «comme un baiser doux amer sur les lèvres».

Ni Coriolan ni Adèle n'avaient eu à regretter leur association : le premier roman du jeune écrivain avait été un véritable succès.

Des liens d'estime et de confiance, qui ne s'étaient jamais démentis par la suite malgré leur caractère emporté, s'étaient noués entre eux et avaient donné naissance à une amitié profonde.

A part la mère d'Azra, elle était la seule femme qu'il respectait. Il aimait son franc-parler, son honnêteté intellectuelle, ses conversations toujours si stimulantes... et même son infâme cigarillo à l'odeur tellement âpre! Elle était la seule à oser lui assener ses quatre vérités et à lui tenir tête... et il adorait cela.


16


La cérémonie se terminait enfin.


Au sortir de l'église, Coriolan fut le premier à adresser ses condoléances aux deux hommes endeuillés. Après une poignée de main à Calvin, il serra Azra dans ses bras en lui murmurant à l'oreille : «Je suis avec toi, vieux frère.». Puis, il se dégagea pour aller fumer un clope.

Le cortège s'ébranla.

Une phrase tirée d'un film de Truffaut lui revint alors incongrûment à l'esprit quand il avisa une magnifique inconnue, à la fois racée et sophistiquée, qui marchait juste devant lui :


«Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie». * 
Cette journée prenait enfin une tournure intéressante... Il se sentit presque frustré en arrivant si vite au cimetière, et davantage encore en voyant la belle eurasienne s'adresser au cousin de Morgane.


«Tiens, le jeune Calvin se serait-il finalement décidé à quitter le monde du virtuel ? Et en plus, il a bon goût le bougre...»

Mais il fut tiré de sa pensée par l'éclat d'une phrase plus ahurissante encore que la découverte du nouveau centre d'intérêt de Calvin.

— C'est la dernière fois que je mets ce chapeau !

«Abomination de la désolation ! Cette retardataire à l'allure de clocharde endimanchée, c'est... c'est CASSANDRE PARLANTI !!!»


Et bien sûr, comme un malheur n'arrivait jamais seul, Azra ne trouva pas mieux que de la lui fourrer entre les pattes. Avec un peu de chance, elle ne se souviendrait pas de lui... Mais en croisant son regard, il se rendit compte qu'elle éprouvait autant de déplaisir que lui à leurs retrouvailles forcées.

— On se connaît, fit Coriolan en réponse aux présentations inutiles d'Azra.

Et il serra la main de son ancienne et éphémère associée en cachant son agacement derrière un sourire moqueur.

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* Cette citation est tirée du film L'homme qui aimait les femmes...


15

Ce furent les notes d'orgue accompagnant la chorale qui le sortirent de ses souvenirs sans, hélas, en effacer le goût étrangement amer. Il se sentait rétrospectivement honteux de son comportement envers Morgane. Il revoyait son regard embué de larmes. Et s'il s'était montré injuste à son égard ? Un peu perdu, il regarda autour de lui pour tenter de se raccrocher à quelque chose de réconfortant. N'était-ce d'ailleurs pas pour cela que les chrétiens venaient dans ce lieu de culte ? Pour trouver des réponses à leurs questions ? Sauf qu'à choisir il préférait "aux fictions apaisantes pour enfants les certitudes cruelles des adultes".*

Son regard tomba sur la statue de la Vierge Marie qui semblait lui sourire de son piédestal. En tant qu'athée doublé de mécréant, il se sentait le droit d'adresser bien des reproches à Dieu mais certainement pas celui d'avoir bon goût en matière de femme !


Le jeune écrivain se prit à penser que s'il n'avait pas été Coriolan, il n'aurait pu être que Dieu ! Quelle volupté de régner à travers les siècles sur tout un peuple de jolies pécheresses ! Gagné par une sorte de béatitude, il s'imaginait être le Dieu vers lequel s'envoleraient toutes leurs prières et leurs suppliques ! Un Dieu qui ne leur imposerait qu'un seul Credo :

« Aimez-moi les unes après les autres, car ceci est mon corps offert pour vous... »

Le bourdonnement insistant de la voix du prêtre à sa gauche le dérangea dans sa rêverie mégalomane.


Furieux, Coriolan se rendit compte que l'homme d'église insistait un peu trop lourdement auprès d'Azra pour qu'il prononce l'homélie. Sa réplique fusa, tranchante :

— Vous voyez bien qu'il n'est pas en état !

Il y eut comme un début de flottement mais le prêtre reprit rapidement sa place derrière l'autel et la cérémonie continua sans autre incident majeur.

Azra était toujours prostré sur son banc, la tête entre les mains. Coriolan se sentait impuissant face à cette douleur qui semblait incurable et qu'il aurait tant voulu pouvoir déloger de son esprit. Exactement comme Azra l'avait fait avec lui l'année où sa mère s'était enfuie avec son amant. Son ami l'avait invité à le suivre en vacances chez sa mère à Casablanca.


Coriolan se souviendrait toujours du premier matin où il s'était réveillé dans le riad encore endormi. Il avait gagné le patio, voûté et fleuri, ouvert sur un coin de ciel bleu d'où une brise légère faisait frissonner les feuilles d'olivier. Là, il avait savouré le délice du silence et le murmure de l'eau. Cette atmosphère sereine l'avait plongé dans un univers de douceur et de méditation qu'il n'avait plus éprouvé depuis longtemps. Il s'était senti presque apaisé. C'était là que lui était venu pour la première fois l'envie d'écrire. Et quelque part, l'écriture l'avait sauvé de la douleur et du désespoir.

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* Coriolan cite en fait M.Onfray dans son Traité d'athéologie



14



Il avait alors bloqué net la main qui s'était levée pour le frapper. Les yeux de Morgane s'étaient mis à briller et Coriolan avait cru y déceler des larmes. Mais il n'avait pas eu le temps de ressentir des remords car l'arrivée de Daphné avait provoqué une bienheureuse diversion.

Morgane s'était mordu les lèvres, comme sur le point de dire quelque chose mais s'était ravisée et avait laissé le couple en tête-à-tête.

Coriolan avait éprouvé un inexplicable malaise à cette fuite qui ne ressemblait guère aux manières sans détour de la jeune femme. Elle lui avait semblé cacher un secret, trop lourd pour elle, beaucoup trop lourd pour ne s'apparenter qu'à une lassitude de couple. Se pouvait-il qu'il se soit trompé sur ses intentions de rupture ? Sur ses motivations ? Refusant d'y penser davantage, il avait chassé Morgane de son esprit.


Pour l'heure, il n'avait ressenti que l'irrépressible besoin de goûter à la paix retrouvée. Et à un peu de chaleur. Il avait attiré à lui sa maîtresse qui le regardait d'un petit air contrit.

— J'espère que je ne vous ai pas dérangés ?

Coriolan n'avait pas répondu, se contentant de lui sourire, de glisser une mèche folle derrière son oreille, d'emprisonner délicatement son visage entre ses paumes.


— J'ai besoin d'un sourire doux et tendre...

Daphné s'était exécutée en lui offrant son plus ravissant sourire.

Il l'avait serrée dans ses bras et avait niché son visage dans ses cheveux, taraudé par l'envie de chasser ses invités pour se retrouver enfin seule avec elle. Une toute dernière fois.


13



Coriolan l'avait fixée avec une acuité dénuée de toute aménité.

— Voyons, nous savons tous les deux comment cette histoire va finir... A vrai dire, je me suis toujours méfié de toi car je sais comment certaines filles – dont tu fais partie à n'en pas douter – profitent des garçons trop gentils comme Azra...

— Tu sais, tu sais, tu ne sais rien du tout, Galen... et encore moins de moi, s'était-elle emportée, blessée par sa remarque.

— Tss... ose seulement m'affirmer que tu ne le quitteras pas... que tu n'en as pas l' intention... Je t'ai bien observée ces derniers temps, et je te trouve beaucoup plus distante vis-à-vis d'Azra... et curieusement presque nerveuse... comme quelqu'un qui n'a pas la conscience tranquille... comme quelqu'un qui est déjà ailleurs...


Le regard de Morgane avait brusquement changé, comme effrayé.

— Oh, rassure-toi ! S'était-il empressé d'ajouter, écœuré de découvrir qu'il avait frappé juste. Azra ne s'est rendu compte de rien... Tu parles, amoureux transi comme il est... Rassure-toi, va ! Tu as encore le temps de peaufiner ton petit discours de rupture... Mais je te conseille de faire cela proprement, de la manière la plus indolore qui soit...

— Tais-toi, tu ne sais pas de quoi tu parles ! Avait-elle craché avec hargne. Tu ne sais rien de moi ! Rien ! Tu te permets de me juger mais au final tu ne vaux pas mieux que moi... J'espère qu'un jour... j'espère qu'un jour tu tomberas sur une fille qui... une fille qui te...

— Oh, par pitié ! Épargne-moi ta grande scène du IV... réserve-la pour Azra. Et sache que tes bons vœux à mon endroit ne risquent pas de se réaliser car jusqu'ici j'ai toujours su éviter les filles dans ton genre !! Juste un dernier point : tu ne le trompes pas au moins ?


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